Quand l’épargne citoyenne permet l’installation d’une nouvelle génération d’éleveurs
Alors que le Sommet de l’Élevage se tiendra du 7 au 10 octobre 2025 à Clermont-Ferrand, l’une des plus grandes vitrines de l’agriculture européenne, une initiative originale se distingue par son ambition et son impact concret : FEVE, foncière agricole et solidaire, qui mobilise l’épargne citoyenne pour financer l’installation de jeunes éleveurs engagés dans l’agroécologie. Dans un contexte marqué par une crise aiguë de la transmission agricole, ce modèle apparaît comme une piste crédible pour répondre aux défis de demain.
Une crise silencieuse mais massive : le renouvellement des générations agricoles
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : d’ici 2035, près de 220 000 fermes françaises risquent de disparaître si aucune solution n’est trouvée pour assurer leur transmission. En moyenne, chaque année, ce sont entre 15 000 et 20 000 exploitants qui partent à la retraite. Or, selon les statistiques du ministère de l’Agriculture, moins d’un sur deux trouve un repreneur.
Les causes de ce décrochage sont multiples. D’abord, l’augmentation du prix du foncier et des bâtiments agricoles, qui rend prohibitif l’investissement initial nécessaire pour reprendre une exploitation. Ensuite, la frilosité des banques, souvent peu enclines à prêter à de jeunes agriculteurs sans garanties solides. Enfin, un modèle économique fragilisé par la volatilité des prix, les contraintes climatiques et les attentes sociétales croissantes en matière d’agriculture durable.
Ce constat alimente une inquiétude plus large : celle de la souveraineté alimentaire française, alors même que le pays se trouve confronté à des défis géopolitiques, économiques et environnementaux inédits.
L’épargne citoyenne comme catalyseur d’une nouvelle génération
Face à ce constat, Vincent, Marc et Simon, les fondateurs de FEVE, ont mis au point un dispositif reposant sur un principe simple : utiliser l’épargne des citoyens pour lever le principal frein à l’installation, à savoir l’accès au foncier.
Le fonctionnement est clair : la foncière acquiert des terres et bâtiments agricoles grâce aux fonds apportés par les investisseurs particuliers. Ces biens sont ensuite mis à disposition de porteurs de projets agricoles, qui peuvent ainsi s’installer sans s’endetter lourdement. Les éleveurs disposent du temps et de la sérénité nécessaires pour développer leur exploitation selon un modèle agroécologique, centré sur la biodiversité, le bien-être animal et la durabilité.
Ce modèle bouscule les codes traditionnels du financement agricole, en impliquant directement les citoyens dans la transition alimentaire et écologique. Il offre également une réponse concrète à la quête de sens de nombreux épargnants.
Donner du sens à son argent : un placement responsable
L’épargne citoyenne portée par FEVE s’inscrit dans la dynamique plus large de la finance à impact. Selon une enquête de l’IFOP publiée en 2024, plus de 65 % des Français souhaitent que leurs placements contribuent positivement à la société et à l’environnement.
Julie, investisseuse chez FEVE depuis 2022, témoigne de cette motivation :
« Très attachée à la ruralité et à la protection de la biodiversité, il est valorisant de savoir que mon argent ne dort pas dans une banque mais qu’il soutient des projets concrets d’agriculture durable. »
Ce type de placement offre donc un double rendement : financier, puisque les épargnants perçoivent une rémunération, et sociétal, en favorisant l’installation de nouveaux agriculteurs.
Des parcours rendus possibles grâce à ce modèle
L’histoire de Camille et Raphaël, aujourd’hui à la tête de la ferme de Magnantru dans les Deux-Sèvres, illustre la pertinence de cette approche.
« Nous travaillions déjà sur l’exploitation en tant que salariés. Lorsque les propriétaires sont partis à la retraite, nous étions les repreneurs naturels. Mais les banques, frileuses, n’ont pas suivi. FEVE nous a permis de franchir le cap et de continuer à faire vivre la ferme en agroécologie. »
Sans cette intervention, leur projet serait probablement resté lettre morte. À travers eux, c’est un patrimoine agricole, un savoir-faire et une dynamique locale qui ont été préservés.
Une dynamique collective et territoriale
Au-delà de la relation entre épargnants et porteurs de projets, FEVE s’appuie sur un écosystème territorial. Les chambres d’agriculture, les collectivités locales, les coopératives et parfois même les anciens exploitants participent à la mise en relation et au suivi des projets.
Cet ancrage local est essentiel : il permet non seulement d’adapter chaque installation aux réalités économiques et sociales du territoire, mais aussi de créer du lien entre générations d’agriculteurs et entre monde rural et citadins.
FEVE en chiffres
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Plus de 10 000 épargnants mobilisés depuis la création de la foncière.
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Des dizaines de fermes déjà installées ou en cours de transmission.
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Une capacité croissante de financement, qui se chiffre désormais en millions d’euros.
Ces chiffres témoignent d’un engouement croissant pour une forme de finance solidaire, capable de répondre à des enjeux concrets de société.
À l’heure où la question du renouvellement des générations agricoles est au cœur des débats sur la souveraineté alimentaire, FEVE incarne une piste innovante. En réconciliant finance citoyenne, transition écologique et ancrage territorial, ce modèle démontre que l’épargne peut devenir un levier stratégique pour l’avenir de l’agriculture française.
L’enjeu des prochaines années sera de changer d’échelle : convaincre davantage d’épargnants, multiplier les projets sur tout le territoire, et pourquoi pas inspirer d’autres secteurs (artisanat, commerce rural, transition énergétique) à s’appuyer sur cette logique de financement citoyen.
Si la réussite se confirme, l’agriculture française pourrait non seulement surmonter la crise de la transmission, mais aussi devenir un exemple de transition durable financée par et pour les citoyens.



