Un risque désormais jugé “élevé” sur tout le territoire
Par un arrêté ministériel daté du 17 octobre 2025, le gouvernement français a acté le passage du niveau de risque d’« influenza aviaire hautement pathogène » de modéré à élevé sur l’ensemble de la métropole. Cette décision fait suite à la détection de nouveaux foyers d’infection tant dans la faune sauvage que dans les élevages de volailles et les basses-cours.
Le virus H5N1, souche prédominante depuis plusieurs années, continue de circuler activement en Europe, avec une capacité d’adaptation redoutable. Si certaines espèces semblent momentanément épargnées, d’autres en revanche subissent des pertes massives. Après les fous de Bassan décimés en 2022 dans la réserve des Sept-Îles (Côtes-d’Armor), puis les goélands et cygnes touchés en 2023, ce sont désormais les grues cendrées qui paient le plus lourd tribut à l’épidémie.
Des centaines de cas ont été recensés sur leurs sites d’hivernage en Champagne-Ardenne et en Aquitaine, mais aussi en Allemagne du Nord, où les oiseaux s’arrêtent lors de leur migration. Ce scénario rappelle tristement la catastrophe de 2021 en Israël, où plusieurs milliers de grues cendrées avaient péri, transformant les lacs d’hivernage en cimetières naturels.
Une vigilance accrue sur le terrain
Dans ce contexte alarmant, la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) joue un rôle essentiel. Gestionnaire d’espaces naturels protégés et de centres de soins pour la faune sauvage, elle coordonne une partie de la veille sanitaireaux côtés de l’Office Français de la Biodiversité (OFB) et du réseau SAGIR, dispositif national dédié à la surveillance des pathologies animales.
L’association rappelle une règle de prudence absolue : ne jamais toucher un oiseau mort ou malade. Tout particulier en découvrant un doit alerter l’OFB de son département. Une FAQ en ligne est également disponible pour informer et guider le public sur les conduites à tenir. Cette mobilisation citoyenne est cruciale, car la rapidité du signalement permet d’éviter la propagation du virus vers d’autres espèces, voire vers les élevages domestiques.
Les causes profondes : le rôle des élevages intensifs
Mais au-delà de la seule urgence sanitaire, cette nouvelle vague épidémique relance un débat de fond sur l’impact des pratiques agricoles industrielles. Depuis une vingtaine d’années, la répétition quasi annuelle des épisodes de grippe aviaire révèle les fragilités structurelles du modèle d’élevage intensif.
Les fortes concentrations de volailles dans des espaces confinés créent des conditions idéales pour la mutation et la diffusion des virus. Ces vastes « incubateurs biologiques » favorisent l’apparition de variants plus agressifs, qui peuvent ensuite franchir la barrière des espèces et contaminer la faune sauvage. L’interconnexion croissante entre milieux d’élevage et zones naturelles multiplie les risques d’échanges viraux, transformant chaque migration en chaîne potentielle de transmission.
Selon Allain Bougrain Dubourg, président de la LPO, la situation actuelle est le symptôme d’un système à bout de souffle :
« Il est urgent de repenser nos modes de production et de consommation carnées, en privilégiant la décroissance, le bien-être animal, les circuits courts et les installations de taille réduite. »
L’écologiste regrette que les récentes décisions politiques aillent dans le sens inverse. La loi Duplomb, en relevant les seuils à partir desquels les élevages doivent obtenir une autorisation environnementale, risque selon lui de faciliter l’expansion des fermes industrielles et d’accroître les risques sanitaires pour les animaux, la nature et, à terme, les humains.
Un enjeu sanitaire global
La grippe aviaire, d’abord perçue comme un problème avicole, est aujourd’hui considérée comme un enjeu de santé publique mondial. Si le virus H5N1 reste pour l’instant mal adapté à l’homme, son potentiel de mutation inquiète la communauté scientifique. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) appelle régulièrement à renforcer la surveillance épidémiologique et à limiter les contacts entre espèces domestiques et sauvages.
Le modèle dit « One Health », défendu par de nombreux chercheurs, prône une approche intégrée de la santé humaine, animale et environnementale. La crise actuelle illustre parfaitement cette interdépendance : ce qui affecte la biodiversité finit toujours par fragiliser les sociétés humaines.
La biodiversité en première ligne
Pour les naturalistes, les conséquences écologiques de ces épidémies sont désastreuses. Chaque perte massive d’oiseaux entraîne un déséquilibre des écosystèmes. Les fous de Bassan, grands prédateurs de poissons, participaient à la régulation naturelle des populations marines. Les grues cendrées, elles, jouent un rôle essentiel dans la dissémination des graines et l’entretien des zones humides. Leur disparition temporaire pourrait fragiliser ces milieux déjà menacés par le réchauffement climatique et l’artificialisation des sols.
Prévenir plutôt que subir
La grippe aviaire, loin d’être une fatalité, doit être perçue comme un signal d’alarme. Sa récurrence met en lumière la nécessité d’un changement de paradigme : réduire les élevages de masse, rétablir des zones tampons entre les exploitations et les habitats naturels, et investir davantage dans la biosécurité et la recherche.
Préserver la santé de la faune sauvage, c’est aussi protéger celle de l’humanité. Dans un monde où les frontières biologiques s’estompent, la prévention devient la meilleure arme. Car, comme le rappelle la LPO, « lorsque la nature tombe malade, c’est l’équilibre du vivant tout entier qui vacille. »
